Membre du Comité d’Orientation Artistique de Révélations, commissaire d’exposition indépendante, défenseur des industries culturelles et créatives africaines.
Quel est votre parcours professionnel ? Comment est née votre rencontre avec les métiers d’art et la création contemporaine ?
Je suis née et j’ai grandi au Cameroun. Après l’obtention de mon baccalauréat, je me suis installée en France pour entreprendre des études de commerce international. Dans ce cadre, j’ai eu l’occasion de découvrir l’univers des grandes maisons françaises de création et d’artisanat, univers qui m’a passionnée ! Je me suis intéressée à la manière dont ces maisons, aux signatures singulières, avaient réussi à valoriser leurs héritages et traditions pour en faire des marques. Je me suis alors orientée vers un master en marketing et management du luxe, à la suite duquel j’ai intégré un grand groupe suisse afin de déployer des points de vente dans des aéroports à travers le monde.
À la suite de cette expérience, j’ai décidé de me concentrer plus spécifiquement sur la partie création et conception. À cette époque, une vague de créateurs et de designers était en train d’émerger en Afrique mais il manquait une plateforme pour les rassembler et valoriser leur travail à l’international. J’ai eu envie de me challenger et je suis partie en voyage, dans plusieurs pays d’Afrique, à la rencontre de ces créateurs en leur proposant de faire connaître leur travail à Paris : c’est ainsi que ma plateforme Moonlook est née.
Afin d’explorer de nouveaux univers et de me rapprocher d’artisans qui transforment la matière et perpétuent des savoir-faire ancestraux, j’ai ensuite décidé d’ouvrir une galerie à Paris, rue du Faubourg Saint-Honoré. Le principe était de raconter, chaque mois, une rencontre avec un artiste, un designer ou une maison de tradition à travers une exposition. C’est également de cette manière que j’ai eu la chance de rencontrer l’artiste Barthélémy Toguo, qui a été président du Jury de la 11ème édition du Festival International du Film sur les Métiers d’Art (FIFMA) créé par Ateliers d’Art de France.
Vous êtes la commissaire de l’exposition « Exceptions d’Afrique » qui se déroulera 12 au 14 juin à la maison Artcurial à Paris. Pouvez-vous nous présenter l’exposition qui fera la part belle aux métiers d’art contemporains du continent africain ?
L’exposition « Exceptions d’Afrique » est née au sein du projet « Art & Exception » qui est une initiative indépendante recouvrant trois volets : l’éducation, la culture et le commerce. L’exposition s’inscrit également dans le cadre de la « Saison Africa2020 » mais avec une vocation plus vaste : voyager ensuite à travers le monde afin de faire connaître la richesse de l’artisanat d’art du continent africain et en changer sa perception.
Il s’agit donc d’une exposition itinérante, ce qui n’est pas aisé à construire dans le contexte actuel de la crise sanitaire liée à la Covid 19. Nous avons rencontré des difficultés à trouver des partenaires dans le cadre de la « Saison Africa2020 » qui est forcément limitée dans sa temporalité. La biennale Révélations, de par sa dimension internationale, a, elle aussi, dû être reportée à juin 2022 aussi nous avons inauguré un partenariat avec la maison Artcurial à Paris pour présenter cette exposition sur quelques jours, du 12 au 14 juin 2021.
Nous avons sélectionné 26 artistes issus de 15 pays d’Afrique et environ 45 œuvres qui mettent en lumière différents types de matières : la céramique, le bois, le métal, les textiles… Notre comité artistique a souhaité explorer ces 5 univers afin d’ouvrir les perspectives sur l’artisanat africain et les différents métiers d’art qui y sont liés. Le dialogue entre l’intemporel et la modernité est au cœur de notre démarche et des œuvres sélectionnées.
L’exposition prendra donc comme point de départ, Paris et la maison Artcurial, pour ensuite sillonner le monde et décloisonner les imaginaires.
- Quelles sont les finalités d’Exceptions d’Afrique ?
L’un des objectifs centraux de l’exposition « Exceptions d’Afrique » est de renouveler l’imaginaire collectif sur l’artisanat africain notamment le récit qui a cours en Afrique ainsi que la terminologie usitée. En France, lorsque l’on évoque le secteur des métiers d’artisanat d’art, on utilise des termes positifs tels que « patrimoine » ou « héritage ».
Malheureusement, pour une grande partie de la population africaine, l’artisanat n’est pas perçu comme un domaine noble, innovant ou un véritable choix de carrière. La richesse créative et la valeur commerciale des savoir-faire ancestraux ne sont pas assez valorisées. L’un des grands enjeux pour le continent africain sera d’innover et de moderniser ces traditions pour leur offrir une place centrale, faire en sorte que l’artisanat ne soit pas perçu comme un choix par « dépit » mais comme un secteur à fort potentiel pour sa jeunesse et en particulier pour les jeunes femmes. Avec « Exceptions d’Afrique », je souhaite ainsi bouleverser les lignes habituelles et transmettre ce message, notamment en direction des institutions.
Vous êtes membre du Comité d’Orientation Artistique de la 5e édition de Révélations. Pourquoi avoir choisi de vous associer à cet événement ? Que représente pour vous la création contemporaine d’Afrique, Révélations, ses valeurs et sa portée internationale ?
Ma collaboration avec Ateliers d’Art de France a débuté il y a quelques années par l’intermédiaire de Barthélémy Toguo. Révélations lui avait soumis l’idée d’inviter le Cameroun au Banquet, l’exposition phare de la biennale qui rassemble différents pays. Il m’a alors proposé d’en être la commissaire et de procéder à la sélection des œuvres présentées. Cette exposition ayant eu beaucoup de succès, Révélations a souhaité que l’Afrique occupe une place encore plus importante au sein de la Biennale. On m’a alors demandé de réfléchir à de nouvelles passerelles possibles avec le continent africain, notamment à travers l’organisation d’un symposium en 2019. Cet événement ayant également été couronné de succès, Aude Tahon, présidente d’Ateliers d’Art de France m’a invitée à rejoindre le Comité d’Orientation Artistique de la 5e édition de Révélations afin d’explorer de nouvelles manières de valoriser la richesse des créateurs africains, notamment dans le cadre de la « Saison Africa2020 ».
Cette proposition m’a immédiatement inspirée et enthousiasmée. Elle s’est naturellement inscrite dans la lignée de mes collaborations avec Révélations mais également en résonance avec mes propres orientations professionnelles. Révélations et moi partageons un socle de valeurs commun d’excellence, d’avant-gardisme et d’éclectisme ainsi que la volonté de développer le dialogue entre le continent Africain et la France. Nous souhaitons également porter ces valeurs sur la scène internationale de la création contemporaine.
Propos recueillis par Yslane Haïda